Dans un arrêt du 24 septembre 2003 , la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur le bien fondé d’une action en responsabilité engagée par des cautions qui étaient poursuivies par une banque en paiement de sommes dues à cette dernière par la société cautionnée. 

Traditionnellement, l’engagement de caution a toujours été considéré par les juges et le législateur comme un engagement extrêmement dangereux pour la personne qui s’engage, tant les premiers que le second estimant que la caution n’avait pas toujours conscience de ce qu’elle faisait en apportant sa garantie à un tiers. 

C’est ainsi notamment que l’on a vu se développer au cours des années 1980, une jurisprudence de la Cour de cassation, pas toujours cohérente, sur la portée de la mention manuscrite. La question était alors de savoir si la caution pouvait invoquer les articles 1326 et 2015 du Code civil, pour faire du respect de ces textes une condition de validité de l’engagement de la caution. 

Puis, au cours des années 1990, les cautions qui se voyaient poursuivies par les banques à l’égard desquelles elles s’étaient engagées, ont imaginé, avec succès, mettre en jeu la responsabilité de celles-ci. 

L’arrêt qui marqua le plus les esprits sera celui rendu par la chambre commerciale de laCour de cassation le 17 juin 1997 . Le banquier venait en effet de voir sa responsabilité engagée à l’égard de la caution pour l’avoir fait souscrire un engagement de caution disproportionné par rapport à ses ressources. 

Un temps semble-t-il remise en question , cette jurisprudence apparaît, du moins pour les cautions non dirigeantes, encore d’actualité. 

Aujourd’hui, il semblerait que les cautions aient décidé d’investir un nouveau champs de responsabilité afin d’échapper à leurs obligations, ou du mois de tenter de limiter les conséquences de leurs engagements : mettre en jeu la responsabilité des commissaires aux comptes. 

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a eu à se prononcer, le 24 septembre dernier, dans une affaire où les cautions – un administrateur de l’entreprise débitrice et son épouse – poursuivies par la banque, avaient non seulement formé une demande reconventionnelle contre celle-ci pour soutien abusif, mais avaient également mis en jeu la responsabilité du commissaire aux comptes de la société. 

Déboutées de leur pourvoi sur la question de la responsabilité de la banque, les cautions ont en revanche obtenu gain de cause sur l’action en responsabilité à l’encontre des commissaires aux comptes. 

Toute la discussion portait sur la question de l’existence du lien de causalité entre la faute commise et le préjudice subit, lien trop souvent oublié par les juridictions, et qui doit conditionner l’application de l’article 1382 du Code civil. 

En effet, la jurisprudence et la doctrine sont unanimes pour considérer que la responsabilité du Commissaire aux comptes ne peut être recherchée par un tiers que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Cass. Com. 17 octobre 1984, JCP 1985 II 20458 ; Y. GUYON la responsabilité civile des commissaires aux comptes JCP C. I. 1969, II, 87239; J HEMARD, F. TERRE, P. MABILAT Sociétés commerciales Tome II n° 1048). 

Ainsi, saisies d’actions initiées à l’encontre de commissaires aux comptes, les juridictions visent indifféremment l’article 1382 du Code civil, ou bien l’article L. 225-241 du Code de commerce spécifique aux commissaires aux comptes. Ce dernier prévoit que « les Commissaires aux comptes sont responsables, tant à l’égard de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l’exercice de leurs fonctions… » 

Le lien de causalité entre la faute reprochée au commissaire aux comptes et le préjudice subi par la personne qui invoque cette faute doit donc être prouvé. 

Au cas d’espèce, les cautions reprochaient au commissaire aux comptes d’avoir approuvé des comptes sur la base desquels la banque de la société, pour laquelle elles avaient apporté leur garantie, avait accordé un financement. Or, il s’est trouvé que l’état financier réel de la société n’était pas celui qui ressortait de ces comptes, l’entreprise ayant rapidement déposé son bilan. 

L’argumentation développée par les cautions consistait à prétendre que si le commissaire aux comptes avait réalisé sa mission sans commettre de négligence, il n’aurait pas approuvé ces comptes, ou aurait du moins émis des réserves, ce qui aurait amené la banque à refuser l’ouverture de crédit sollicitée. Ainsi, en l’absence de crédit, les cautions n’auraient pas eu à s’engager. 

Dans son arrêt, la Cour d’appel de Poitiers a rejeté cette argumentation au motif que le lien de causalité entre la faute reprochée au commissaire aux comptes et le préjudice subi par les cautions n’existait pas. En effet, les magistrats ont considéré que, dans leur appréciation souveraine, les faits de l’espèce avaient révélé que « quelles que soient les conclusions du commissaire aux comptes, les dirigeants auraient sollicités les crédits avec les garanties d’usage ». 

Cassant cette décision, la Cour de cassation a estimé, sous le visa de l’article 1382 du Code civil, que les magistrats d’appel auraient du rechercher si les négligences du commissaire aux comptes « n’avaient pas permis à la banque de croire à la solvabilité » de la société cautionnée, et privé en conséquence la caution « d’une chance de n’avoir pas à s’obliger en qualité de caution ». 

Cette décision appelle plusieurs observations. 

En premier lieu, on constate que la Cour de cassation raisonne en terme de perte de chance, ce qui aura pour conséquence de limiter le préjudice indemnisable, conformément à la jurisprudence applicable en cette matière. 

En second lieu, et sur le principe même de la responsabilité du commissaire aux comptes, cet arrêt laisse assez perplexe. En effet, alors que le lien de causalité entre la faute et le préjudice, qui doit préexister à toute condamnation prononcée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, doit être direct, la Cour de cassation, pour caractériser ce lien, explique en substance que si le commissaire aux comptes avait accompli de manière satisfaisante ses diligences, la banque n’aurait alors certainement pas accordé le crédit au vu de la réalité financière de l’entreprise, ce qui, in fine, aurait dispensé les cautions d’accorder leur garantie. 

Le lien de causalité entre la faute du commissaire aux comptes et le préjudice subi par les cautions apparaît donc ici pour le moins distendu. 

La solution apparaît d’autant plus critiquable que la qualité de dirigeant d’une des cautions aurait vraisemblablement amené celles-ci à s’engager en tout état de cause, quelle qu’ait été la situation financière réelle de la société, situation qui aurait difficilement du lui être inconnue. 

La position de la Cour de cassation peut s’expliquer au cas d’espèce par le fait que la caution administrateur – un agriculteur en retraite – semblait n’être qu’un administrateur de paille qui aurait été, selon le pourvoi, « manipulé » par le Président de la société. Si tel a été les cas, le dommage subi par les cautions n’aurait alors-t-il pas plutôt son origine dans le comportement de ce Président ? 

Cet arrêt est par ailleurs en contradiction avec une décision de la cour d’appel d’Orléans du 28 février 2002 qui avait au contraire considéré qu’il ne pouvait y avoir de lien de causalité dans une espèce proche de l’arrêt discuté. En effet, les magistrats avaient relevé que la caution, en sa qualité d’administrateur, assistait à tous les conseils d’administration, de sorte qu’il « ne pouvait ignorer que les comptes de la société X ne retraçaient pas fidèlement la réalité de sa situation financière. » 

A y regarder de près ces deux décisions ne sont pas forcément contradictoires. En effet, dans l’arrêt de la Cour de cassation, il semblerait, selon les moyens développés par elle à l’appui de son pourvoi, que la caution administrateur était relativement passive, dépourvue de toute connaissance juridique et fiscale, et aurait été manipulée par le Président de la société. 

Dans l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans, la caution était au contraire un administrateur actif. Cette constatation a amené les magistrats à juger que la caution, « qui assistait à tous les conseils d’administration, ne pouvait ignorer que les comptes de la société X ne retraçaient pas fidèlement la réalité de sa situation financière, fortement compromise ; qu’il n’est donc pas fondé à soutenir que la responsabilité (du commissaire aux comptes) est engagée à son égard, alors que le dommage allégué s’avère sans rapport avec les fautes retenues contre les commissaires aux comptes. » 

Ainsi, il semblerait que la jurisprudence veuille, en matière de recours des cautions contre les commissaires aux comptes, adopter la distinction qui semble se dessiner en matière de proportionnalité des engagements de caution, refusant l’action aux cautions dirigeants, mais laissant la porte ouverte aux autres cautions, y compris administrateurs dès lors que ces derniers ne disposeraient pas des connaissances adéquates pour avoir une parfaite connaissance de la situation financière de l’entreprise. 

Une telle approche trancherait manifestement avec la rigueur de la jurisprudence concernant la responsabilité des administrateurs qui ne fait aucune distinction et sanctionne tout aussi sévèrement l’administrateur qui prend des décisions contestables que celui qui croît pouvoir se retrancher derrière son silence. 

En tout état de cause, il convient de relever que pour caractériser le lien de causalité entre le préjudice des cautions et la faute du commissaire aux comptes, la Cour de cassation analyse les relations entre ce dernier et…la banque, en expliquant que le juges du fond auraient du rechercher si les négligences du professionnel du chiffre n’avaient pas permis de croire à la solvabilité de l’entreprise cautionnée. 

Il nous apparaît ici que l’utilisation faite par les magistrats du lien de causalité est abusive puisque pour caractériser ce lien dans le cadre d’une relation (faute du commissaire aux comptes / préjudice de la caution), la Cour de cassation analyse une relation différente (faute du commissaire aux comptes / engagement de la banque). 

Ce n’est donc que de manière indirecte que la Cour de cassation tente de caractériser un lien de causalité entre la faute de commissaire aux comptes et le préjudice de la caution. Or, en droit, ce lien de causalité doit être direct.